Vendredi 3 décembre

 

 

A Polyarny, base des sous-marins de la Flotte soviétique du nord, le capitaine de vaisseau Ramius était à son poste de manœuvre sur la passerelle d’Octobre rouge. Il était engoncé dans la rude tenue arctique, avec un ciré et cinq épaisseurs de laine. Un remorqueur de port évitait l’étrave du sous-marin vers le nord. Après deux mois interminables, échoué dans un bassin à l’abri des intempéries, le bâtiment était de nouveau à flot. Au bout du bassin, un groupe de marins et d’ouvriers du port, silencieux et impassibles à la manière russe, observaient l’appareillage.

« Kamarov, machines avant lentes ! » ordonna Ramius. Le remorqueur s’éloignait. Ramius jeta un coup d’œil à l’arrière pour observer le bouillonnement créé par le démarrage des hélices. Le patron du remorqueur salua, et Ramius répondit. La tâche du patron avait été modeste, mais exécutée rondement. Octobre rouge, un sous-marin de la classe Typhon, était maintenant en route dans le chenal du fjord de Kola.

« Voilà le Purga, commandant ! » annonça Kamarov en désignant un brise-glace. Ramius acquiesça. Il avait vu le bâtiment qui devait le précéder dans le chenal pendant deux heures. La navigation n’allait pas poser de problème, mais Ramius savait qu’elle serait néanmoins éprouvante. Le vent glacé venait du nord, fait inhabituel pour la saison. L’automne avait été doux, et la neige était encore rare. La semaine précédente, une tempête hivernale avait soufflé avec violence. Le littoral de Mourmansk était ravagé, et il y avait des glaçons à la dérive. Le brise-glace allait être fort utile pour écarter les glaces flottantes. Dernier-né des sous-marins lance-missiles, Octobre rouge ne devait courir aucun risque.

Hachée et soulevée par le vent, la mer commençait à déferler par-dessus l’étrave arrondie, et des vagues roulaient sur le pont des missiles, à l’avant du kiosque. En surface, la mer était couverte d’huile rejetée par de nombreux navires. Le froid vif empêchait l’évaporation de cette pollution, qui marquait d’un anneau noir les murailles rocheuses du fjord. On aurait dit les bords de la baignoire d’un géant crasseux. « Bonne comparaison », songea Ramius. Le géant soviétique se moque bien de la crasse qu’il répand sur la terre. Mais Ramius, lui, avait appris son métier parmi les pêcheurs, et il savait ce que c’était que vivre en harmonie avec la nature.

Il ordonna « Machines avant un tiers ! » et Kamarov répéta l’ordre par téléphone. L’agitation de l’eau augmenta, tandis que le sous-marin chassait son poste derrière le brise-glace. Le capitaine de corvette Kamarov, officier de navigation du sous-marin, était récemment pilote de grands bâtiments à la direction du port de la base. Les deux officiers observaient le comportement du brise-glace, à trois cents mètres devant eux. Sur le pont arrière du Purga, quelques hommes d’équipage battaient la semelle ; l’un d’eux portait un tablier blanc de cuisinier. Ils voulaient assister au premier appareillage d’Octobre rouge et, d’ailleurs, les marins feraient n’importe quoi pour rompre la monotonie de leurs activités.

Normalement, Ramius se serait irrité d’être ainsi escorté – cette partie du chenal étant large et profonde – mais pas aujourd’hui. Il fallait prendre garde à la glace – et, pour Ramius, à bien d’autres choses encore.

« Alors, commandant, nous voilà repartis en mer pour servir la Rodina[1] ! »

Le capitaine de frégate Ivan Yurevitch Poutine passa la tête dans le panneau – sans y être autorisé, comme d’habitude – et escalada l’échelle avec une gaucherie de terrien. La minuscule passerelle était déjà bien assez encombrée avec le commandant, l’officier de navigation et un veilleur. Poutine était le zampolit[2] du bord. Sa mission consistait à servir la Rodina, un mot qui se chargeait de connotations mystiques pour un Russe et qui, avec le nom de Lénine, servait de veau d’or au parti communiste.

« Hé oui, Ivan, répondit Ramius avec plus de chaleur qu’il n’en éprouvait. Deux semaines en mer. Que c’est bon de quitter le port ! Un marin appartient à la mer, et non à la terre, qui est surchargée de bureaucrates et d’ouvriers en bottes sales. Et puis nous aurons chaud.

— Vous trouvez qu’il fait froid ? » s’étonna Poutine.

Pour la centième fois, Ramius songea que Poutine était décidément le parfait officier politique. Il s’exprimait toujours d’une voix trop forte, avec une bonne humeur trop affectée. Jamais il ne laissait personne oublier qui il était. Parfait officier politique, Poutine inspirait la peur.

« J’ai trop vécu dans les sous-marins, mon ami. Je me suis habitué aux températures modérées, et à avoir un pont bien stable sous les pieds. »

Poutine ne releva pas l’insulte voilée. Il avait été affecté aux sous-marins après avoir dû interrompre sa première mission sur un escorteur à cause du mal de mer – et peut-être aussi parce qu’il tolérait bien le confinement à bord des sous-marins, alors que beaucoup d’hommes ne le supportaient pas.

« Ah ! Marko Aleksandrovitch, mais à Gorki, un jour comme celui-ci, les fleurs s’ouvrent !

— Et quel genre de fleurs serait-ce donc, camarade officier politique ? »

Ramius observait le fjord avec ses jumelles. A midi, le soleil s’élevait à peine au-dessus de l’horizon, projetant une lumière orange et des ombres violettes sur les murailles rocheuses.

« Des perce-neige, bien sûr ! répondit Poutine en riant très fort. Un jour comme celui-ci, les femmes et les enfants ont le visage rose vif, la respiration lance de jolis petits nuages de buée, et la vodka est meilleure que jamais. Ah ! être à Gorki un jour comme celui-ci ! »

« Ce salaud devrait travailler pour l’Intourist, marmonna intérieurement Ramius, sauf que Gorki est une ville fermée aux étrangers. » Il y était allé deux fois, et avait gardé l’impression d’une ville typiquement soviétique, pleine d’immeubles délabrés, de rues sales et de gens mal habillés. De même que dans la plupart des villes russes, l’hiver était la meilleure saison à Gorki. La neige cachait toute la saleté. Ramius, qui était à demi lituanien, avait des souvenirs d’enfance d’un plus bel endroit, un village côtier dont l’origine hanséatique avait laissé des rangées de constructions présentables.

Il était inhabituel que quelqu’un d’autre qu’un Grand Russe fut à bord d’un bâtiment de la marine soviétique – sans même parler de le commander. Le père de Marko, Aleksandre Ramius, avait été un héros du Parti, un communiste fervent et dévoué, qui avait servi Staline loyalement. Quand les Soviétiques avaient envahi la Lituanie en 1940, Ramius père avait participé à l’arrestation des dissidents politiques, des commerçants, des prêtres et de tous ceux qui risquaient de causer des problèmes au nouveau régime. Tous avaient été expédiés vers des destins que, maintenant encore, Moscou pouvait tout juste imaginer. Lors de l’invasion allemande, un an plus tard, Aleksandre s’était battu comme un lion, en tant que commissaire politique, et il s’était ensuite distingué à la bataille de Leningrad. En 1944, il avait regagné sa terre natale avec l’avant-garde de la 11e armée des gardes, pour exercer des représailles sanglantes contre ceux qui avaient collaboré avec les Allemands ou en étaient soupçonnés. Le père de Marko avait été un authentique héros soviétique – et Marko ressentait une profonde honte à être son fils. La santé de sa mère s’était ruinée pendant l’interminable siège de Leningrad, et elle était morte en lui donnant le jour. Il avait été élevé par sa grand-mère paternelle en Lituanie, tandis que son père plastronnait au comité central du Parti de Vilnius, en attendant sa promotion à Moscou. Il l’avait obtenue, et il était candidat au Politburo quand une crise cardiaque avait mis fin à ses jours.

La honte de Marko n’était cependant pas totale, car seule l’importance de son père rendait possible son objectif actuel, et Marko s’apprêtait à assener sa vengeance à l’Union soviétique, avec une force telle que, peut-être, elle satisferait les milliers de ses compatriotes morts avant sa naissance.

« Là où nous allons, Ivan Yurevitch, il fera encore plus froid. »

Poutine donna une claque sur l’épaule de son commandant. S’agissait-il d’une affection feinte ou réelle ? Marko se le demandait. Sans doute réelle. Ramius était un honnête homme, et il reconnaissait les sentiments humains dans ce type de manifestation brève et bruyante.

« Comment se fait-il, commandant, que vous paraissiez toujours heureux de quitter la Rodina pour naviguer ? »

Ramius sourit derrière ses jumelles. « Un marin a une patrie, Ivan Yurevitch, mais il a deux femmes. Vous ne comprenez jamais cela. Je pars maintenant vers mon autre femme, celle, froide et sans cœur, qui possède mon âme. » Ramius se tut. Son sourire s’effaça. « Ma seule femme, désormais. »

Marko remarqua que, pour une fois, Poutine ne répondait rien. Il avait assisté aux obsèques, et versé de vraies larmes quand le cercueil de pin ciré avait disparu dans la chambre crématoire. Pour Poutine, la mort de Natalia Bogdanova Ramius avait été une cause de réel chagrin, mais aussi le signe d’un Dieu désinvolte dont il niait habituellement l’existence. Pour Ramius, le crime incombait non pas à Dieu mais à l’Etat. Un crime inutile, monstrueux, un crime qu’il fallait châtier.

« Glace. Tribord, un quart, signala le veilleur.

— Aperçu. Glaces flottantes à tribord. Elles ne nous gêneront pas, commenta Kamarov.

— Commandant ! » Le haut-parleur de la passerelle avait une tonalité métallique. « Message de l’état-major.

— Lisez-le.

— Zone d’exercice claire. Pas d’ennemi dans les parages. Faites route selon vos ordres. Signé Amiral Korov.

— Bien reçu, dit Ramius. Ainsi donc, pas d’Amerikanski dans le secteur ?

— Douteriez-vous des sources de l’amiral ? insinua Poutine.

— J’espère qu’il est bien renseigné, répondit Ramius, plus sincèrement que ne pouvait l’apprécier son officier politique. Mais rappelez-vous la préparation de notre mission à l’état-major. »

Poutine remua les pieds. Peut-être sentait-il le froid, finalement.

« Ces sous-marins américains, Los Angeles, de type 688. Vous vous souvenez de ce qu’a dit l’un de leurs officiers à notre espion ? Qu’ils pouvaient s’approcher d’une baleine et la sodomiser avant qu’elle s’aperçoive de leur présence ? Je me demande comment le KGB s’est procuré ce renseignement-là. Sans doute une superbe espionne soviétique rompue aux méthodes décadentes de l’Ouest, trop maigre, comme les impérialistes aiment leurs femmes, blonde...» Le commandant eut un grognement amusé. « Et l’officier américain devait être un jeune vantard, qui s’efforçait d’en faire autant avec notre espionne, non ? Imbibé d’alcool, bien entendu, comme la plupart des marins. Mais quand même. Les Los Angeles et les nouveaux Trafalgars britanniques, voilà ce dont il faut nous méfier. Ce sont eux qui nous menacent.

— Les Américains sont de bons techniciens, commandant, répondit Poutine, mais pas des géants. Leur technologie n’est pas si terrible. Nacha lutchaya, conclut-il. La nôtre est meilleure. »

Ramius acquiesça songeusement, en se disant que les zampoliti auraient tout de même bien dû savoir quelque chose des bâtiments qu’ils surveillaient au nom de la doctrine du Parti.

« Ivan, les fermiers de la région de Gorki ne vous ont donc pas dit que c’est le loup qu’on ne voit pas qu’il faut redouter ? Mais ne vous inquiétez pas trop. Avec notre sous-marin, je pense que nous allons leur donner une leçon.

— Comme je l’ai dit à l’administration politique centrale », et Poutine donna une nouvelle claque dans le dos de Ramius, « Octobre rouge est dans les meilleures mains ! »

Ramius et Kamarov sourirent tous deux à cette évocation. « Espèce de salaud ! songeait le commandant, tu as dit devant tous mes hommes que tu préférais passer sur mon aptitude au commandement ! Un type incapable de commander un radeau pneumatique par temps plat ! Dommage que tu ne puisses pas vivre assez longtemps pour ravaler ces paroles, camarade officier politique, et passer la fin de tes jours au goulag pour cette erreur de jugement. Cela vaudrait presque la peine de te laisser vivre ! »

Quelques minutes plus tard, la mer força, faisant rouler le sous-marin. Le mouvement était accentué par la hauteur du kiosque, et Poutine en prit prétexte pour descendre. Il n’avait toujours pas le pied marin. Ramius partagea en silence cette observation avec Kamarov, qui la reçut avec un sourire. Leur mépris muet pour le zampolit était une attitude très antisoviétique.

L’heure suivante passa vite. La force de la mer s’accentuait à mesure qu’on approchait de la haute mer, et le brise-glace commençait à piquer dans la plume. Ramius l’observait avec intérêt. Il n’avait jamais mis le pied sur un brise-glace, sa carrière entière s’étant déroulée dans les sous-marins. C’était plus confortable, mais également plus dangereux. Il avait l’habitude du danger, cependant, et ses années d’expérience allaient bien lui servir, désormais.

« Bouée en vue, commandant », annonça Kamarov. La bouée rouge lumineuse dansait dans la houle.

« Central, le fond ? demanda Ramius au téléphone.

— Cent mètres, commandant.

— A gauche dix, machines avant deux tiers. » Ramius regarda Kamarov. « Signalez notre changement de cap au Purga, en espérant qu’il ne tournera pas dans le mauvais sens. »

Kamarov prit le petit projecteur. La lente montée en allure des trente mille tonnes d’Octobre rouge commença. La vague d’étrave se transforma en une gerbe de trois mètres ; de longues lames balayaient le pont des missiles, heurtant de front le kiosque. Le Purga évolua vers la droite, dégageant la route du sous-marin.

Ramius contempla vers l’arrière les falaises du fjord Kola. Elles étaient taillées ainsi depuis des millénaires, par la pression impitoyable des gigantesques glaciers. Pendant ses vingt années de service dans la Flotte du nord, combien de fois avait-il regardé cette immense muraille ? Cette fois serait la dernière. Quelle que soit l’issue, jamais il ne reviendrait. Comment cela allait-il tourner ? Ramius reconnaissait en lui-même que peu lui importait. Peut-être les histoires que sa grand-mère lui avait enseignées étaient-elles vraies, en ce qui concernait Dieu et ses récompenses après une vie juste. Il l’espérait – ce serait tellement merveilleux si Natalia pouvait n’être pas vraiment morte. En tout cas, impossible de revenir. Il avait déposé une lettre dans le dernier sac postal porté à terre avant l’appareillage. Après cela, il ne pouvait plus retourner en arrière.

« Kamarov, signalez au Purga : ‘‘Plongée à...” il consulta sa montre, ‘‘... 13 h 20. Exercice Gel d’octobre commence comme prévu. Vous pouvez disposer pour mission suivante. Nous reviendrons comme prévu.” »

Kamarov s’affaira avec le fanal pour transmettre le message. Le Purga répondit aussitôt, et Ramius déchiffra sans aide le signal lumineux : si LES BALEINES NE VOUS MANGENT PAS, BONNE CHANCE À OCTOBRE ROUGE !

Ramius décrocha à nouveau le téléphone, et pressa le bouton du poste radio. Il fit adresser le même message au quartier général de la flotte, à Severomorsk. Il s’adressa ensuite au central.

« Le fond ?

— Cent quarante mètres, commandant.

— Paré à plonger. » II se tourna vers le veilleur et lui ordonna de descendre. Le matelot se dirigea vers le panneau. Il était sans doute heureux de regagner la chaleur d’en bas, mais il prit le temps de lancer un dernier regard au ciel nuageux et aux falaises qui s’éloignaient. Appareiller à bord d’un sous-marin était toujours excitant, et toujours un peu triste aussi.

« Dégagez la passerelle. Prenez le quart, Gregori. » Kamarov acquiesça et laissa retomber le panneau, laissant le commandant seul.

Ramius fit un dernier tour d’horizon, soigneusement. Le soleil apparaissait à peine à l’arrière et, sous le ciel de plomb, la mer était noire à l’exception de l’écume blanche des crêtes. Il se demandait s’il disait adieu au monde. Dans ce cas, il aurait préféré en garder une dernière vision plus chaleureuse.

Avant de descendre, il vérifia le panneau, le ferma avec une chaîne, et s’assura que le mécanisme automatique fonctionnait bien. Il descendit ensuite de huit mètres à l’intérieur du kiosque, puis encore de deux jusqu’au central. Un michman[3] referma le second panneau et d’une forte poigne le souqua à fond.

« Gregori ? demanda Ramius.

— Nous sommes parés à plonger », répondit brièvement l’officier de navigation, en montrant le tableau de plongée. Tous les lumineux étaient verts.

Le commandant fit sa propre inspection des indicateurs mécaniques, électriques et hydrauliques. Il hocha la tête, et le michman de quart ferma les manches à air.

« Alerte. Immersion quarante mètres », ordonna Ramius et il s’approcha du périscope pour libérer Vasili Borodine, son starpom[4]. Kamarov fit retentir le klaxon dans tout le bâtiment.

« Ouvrez les purges. Sortez les barres avant. Assiette moins dix. »

En donnant ses ordres, Kamarov s’assurait du regard que chaque homme faisait exactement son travail. Quant à Ramius, il écoutait attentivement, mais sans regarder. Kamarov était le meilleur officier qu’il eût jamais eu, et avait depuis longtemps gagné sa confiance.

La coque d’Octobre rouge résonnait du bruit de l’air qui s’échappait par les purges. C’était une longue opération, car le sous-marin avait de nombreux ballasts, soigneusement séparés entre eux par des cloisons. Ramius régla le périscope et vit l’eau noire se transformer brièvement en écume.

Octobre rouge était le plus gros et le plus beau bâtiment que Ramius eût jamais commandé, mais il avait un défaut grave. Il possédait une puissance motrice et un nouveau système de propulsion qui, espérait Ramius, surclasseraient les Américains aussi bien que les Soviétiques, mais il était si gros qu’il changeait d’immersion à la manière d’une baleine blessée. Lent pour monter, et plus lent encore pour descendre.

« Rentrez le périscope. » Ramius s’écarta de l’instrument après ce qui parut une longue attente.

« Quarante mètres, annonça Kamarov.

— Cent mètres », ordonna Ramius. Il observait ses hommes, à présent. La première plongée pouvait impressionner, et la moitié de son équipage se composait de gars de la campagne, sortis tout droit du camp d’entraînement. La coque craquait sous la pression de l’eau, et c’était une chose à laquelle il fallait s’habituer. Quelques-uns parmi les plus jeunes pâlirent, mais ils restèrent fermes à leur poste.

Kamarov manœuvra pour rallier la profondeur requise. Ramius le regardait avec l’orgueil qu’il aurait éprouvé pour un fils, tandis que le jeune officier donnait les ordres nécessaires avec précision. Il était le premier officier du bord que Ramius avait choisi. L’équipage du central lui obéissait sans broncher. Cinq minutes plus tard, le SM était à quatre-vingt-dix mètres, et il parcourut les dix derniers de manière à s’arrêter parfaitement à cent.

« Belle manœuvre, Kamarov. Prenez le quart. Réduisez la vitesse à un tiers. Veille sonar passive.

— Je prends », répondit Kamarov.

Ramius fit demi-tour pour quitter le central, en faisant signe à Poutine de le suivre.

Maintenant, tout allait commencer.

Ramius et Poutine se dirigèrent vers l’arrière, et Ramius ouvrit la porte du carré des officiers pour le zampolit, puis entra à sa suite et referma la porte à clé. Le carré était vaste, situé juste devant la cuisine, et derrière les chambres des officiers. Les parois en étaient insonorisées, et la porte équipée d’une serrure, car l’état-major savait que ce que des officiers pouvaient dire n’était pas nécessairement destiné à toutes les oreilles. La pièce était assez grande pour que tous les officiers du bord pussent s’y trouver ensemble à table, bien qu’il dût toujours y en avoir au moins trois de quart. Le coffre contenant les ordres du bord s’y trouvait, et non pas dans la chambre du commandant, où l’homme risquait de profiter de la solitude pour tenter de l’ouvrir lui-même. Le coffre était équipé de deux cadrans. Ramius détenait une combinaison, et Poutine l’autre. Cela ne présentait pas grande utilité, car Poutine connaissait certainement déjà leurs ordres de mission. Ramius les connaissait également, mais certains détails lui manquaient.

Poutine servit le thé tandis que le commandant vérifiait sa montre à l’heure du chronomètre mural. Quinze minutes avant l’heure prescrite pour ouvrir le coffre. L’amabilité de Poutine le mettait mal à l’aise.

« Encore deux semaines de réclusion, déclara le zampolit en tournant son thé.

— Les Américains y restent deux mois, Ivan. Evidemment, leurs sous-marins sont beaucoup plus confortables. » Bien qu’Octobre rouge fût énorme, les conditions de logement de l’équipage auraient fait honte à un geôlier de goulag. L’état-major comportait quinze officiers, logés dans des chambres à peu près convenables, à l’arrière, et l’équipage cent hommes dont les couchettes étaient casées dans les coins et recoins, à l’avant du local des missiles. La taille d’Octobre faisait illusion. L’intérieur de la coque était rempli de missiles, de torpilles, d’un réacteur nucléaire et de ses auxiliaires, d’un énorme moteur Diesel de secours, et d’une série de batteries au cadmium-nickel rangées à l’extérieur de la coque pressurisée, le tout représentant un volume dix fois supérieur à celui installé sur les sous-marins américains correspondants. La manœuvre et l’entretien du bâtiment constituaient une énorme charge pour un équipage aussi restreint, malgré une automatisation très poussée qui en faisait le plus moderne de tous les bâtiments de la marine soviétique. Peut-être les hommes n’avaient-ils pas besoin de logements classiques. Ils n’allaient guère disposer que de cinq ou six heures par jour pour en profiter, et cela jouerait en faveur de Ramius. La moitié de l’équipage était composée de recrues qui accomplissaient leur première mission opérationnelle, et même les plus expérimentés parmi les hommes d’équipage en savaient assez peu. La qualité de son personnel, contrairement à celle des équipages occidentaux, résidait bien davantage en ses onze michmaniy[5] qu’en ses glavniy starshini[6]. Tous étaient des hommes qui feraient exactement ce que leur ordonneraient leurs officiers. Telle était leur formation spécifique. Quant aux officiers, Ramius les avait choisis.

« Vous voulez naviguer pendant deux mois ? s’étonna Poutine.

— Je l’ai fait à bord de sous-marins diesel. Un sous-marin doit aller en mer, Ivan. Notre mission consiste à implanter la peur dans le cœur des impérialistes, et ce n’est pas en restant tout le temps amarrés dans notre grange de Polyarny que nous y parviendrons. Mais nous ne pouvons pas rester plus longtemps en mer parce que, au-delà de deux semaines, l’équipage perd de son efficacité. D’ici deux semaines, cette bande de gamins sera transformée en une meute de robots engourdis. » Ramius comptait sur ce fait.

« Et nous pourrions résoudre ce problème en adoptant les luxueuses pratiques capitalistes ? ricana Poutine.

— Un vrai marxiste doit être objectif, camarade officier politique, protesta Ramius, savourant cette dernière discussion avec Poutine. Objectivement, tout ce qui nous aide à réussir notre mission est bon, et tout ce qui nous en empêche est mauvais. L’adversité est censée aiguiser l’esprit et les compétences, et non pas les émousser. Le seul fait de se trouver à bord d’un sous-marin est suffisamment dur, non ?

— Pas pour vous, Marko. » Poutine eut un grand sourire derrière sa tasse.

« Je suis marin. Nos hommes ne le sont pas, et pour la plupart ne le seront jamais. C’est une troupe de fils de fermiers et de garçons qui rêvent d’aller en usine. Il faut savoir nous adapter à notre temps, Ivan. Ces jeunes gens ne sont pas tels que nous étions.

— Cela est assez vrai, reconnut Poutine. Vous n’êtes jamais satisfait, camarade commandant. Ce sont sans doute les hommes comme vous qui nous imposent à tous le progrès. »

Les deux hommes savaient exactement pourquoi les sous-marins lance-missiles soviétiques passaient si peu de leur temps – environ quinze pour cent – en mer, et cela n’avait rien à voir avec le confort des hommes. Octobre rouge était équipé de vingt-six missiles SS-N-20, chacun portant huit têtes de cinq cents kilotonnes MIRV, permettant de détruire deux cents villes. Les bombardiers stationnés au sol ne pouvaient voler que quelques heures d’affilée avant de devoir regagner leur base. Les missiles stationnés au sol, le long du réseau ferré soviétique Est-Ouest, se trouvaient toujours là où les commandos paramilitaires du KGB pouvaient les atteindre, pour le cas où un commandant de base de missiles prendrait soudain conscience du pouvoir qu’il détenait à portée de main. Mais les sous-marins lance-missiles échappaient par définition à l’observateur terrestre. Leur mission consistait précisément à rester cachés.

Dans cet état de fait, Marko s’étonnait même que son gouvernement en possédât. L’équipage de tels bâtiments devait bénéficier d’une confiance absolue. Ils naviguaient donc moins que leurs équivalents occidentaux et, quand ils naviguaient, c’était toujours avec un officier politique à bord, une sorte de second commandant surveillant chaque décision.

« Pensez-vous que vous pourriez le faire, Marko ? Naviguer deux mois avec ces garçons de ferme ?

— Je préfère les jeunes à moitié formés, comme vous le savez. Ils ont moins à désapprendre. Je peux ainsi les entraîner à devenir de vrais marins, à ma façon. Peut-être est-ce mon culte de la personnalité ? »

Poutine alluma une cigarette en riant. « Cette observation a déjà été faite naguère, Marko. Mais vous êtes notre meilleur enseignant, et votre loyauté est bien connue. » Cela était fort vrai. Ramius avait formé des centaines d’officiers et de marins qui étaient ensuite allés sur d’autres sous-marins, dont les commandants avaient été bien heureux de les avoir. Il pouvait paraître assez paradoxal qu’un homme pût engendrer la confiance, dans une société qui en admettait à peine le concept. Bien entendu, Ramius était un loyal membre du Parti, fils d’un héros du Parti qui avait été porté en terre par trois membres du Politburo. Poutine agita un doigt. « Vous devriez diriger l’une de nos grandes écoles navales, camarade commandant. Vos compétences y seraient plus utiles à l’Etat.

— Mais je suis marin, Ivan Yurevitch. Seulement marin, et non maître d’école – malgré tout ce qu’on peut dire de moi. Le sage connaît ses limites. » Et l’audacieux saisit les occasions. Chaque officier à bord avait déjà servi sous Ramius, à l’exception de trois jeunes enseignes, qui obéiraient aux ordres aussi docilement que n’importe quel marin novice, et du médecin, qui ne servait à rien.

La pendule sonna le changement de quart.

Ramius se leva, et composa sa combinaison à trois chiffres. Poutine en fit autant, et le commandant fit basculer la barre pour ouvrir la porte circulaire du coffre. A l’intérieur se trouvaient une grosse enveloppe, ainsi que quatre dictionnaires et une table des objectifs. Ramius sortit l’enveloppe, puis referma le coffre en faisant tourner les cadrans avant de se rasseoir.

« Alors, Ivan, s’enquit Ramius d’une voix théâtrale, que pensez-vous de nos ordres ?

— Notre devoir, camarade. » Poutine sourit.

« Bien sûr. » Ramius brisa le cachet de cire et tira de l’enveloppe les quatre pages de l’ordre de mission. Il lut rapidement. Ce n’était pas compliqué.

« Bien, nous devons nous rendre au carreau 54-90 et y retrouver notre sous-marin d’attaque V. K. Konovalov – c’est le nouveau commandement du camarade Tupolev. Vous connaissez Viktor Tupolev ? Non ? Viktor nous protégera contre les incursions impérialistes, et nous ferons quatre jours d’exercice d’acquisition et de tenue de contact avec lui – s’il y arrive. » Ramius eut un petit rire. « Les petits gars du Konovalov n’ont pas encore trouvé la technique pour échapper à notre nouveau système de propulsion. Et les Américains non plus. Nous allons limiter nos opérations au carreau 54-90 et à ceux qui les entourent. Cela devrait faciliter un peu la tâche de Viktor.

— Mais vous ne vous laisserez pas repérer ?

— Certainement pas. » Ramius rit à nouveau. « Le laisser ? Viktor a été mon élève, naguère. On ne concède rien à l’ennemi, Ivan, même en exercice. Les impérialistes ne nous feront assurément pas de cadeaux ! En essayant de nous trouver, il s’entraîne également à détecter leurs sous-marins lance-missiles. Il aura une bonne chance de nous repérer, à mon avis. L’exercice se limite à neuf carreaux, quarante mille kilomètres carrés. Nous allons voir ce qu’il a appris, depuis qu’il a servi sous nos ordres – oh, c’est vrai, vous n’étiez pas avec moi, à l’époque. J’avais alors le Suslov.

— Seriez-vous déçu ?

— Non, pas vraiment. L’exercice de quatre jours avec le Konovalov sera une intéressante diversion. » « Salaud, maugréait-il intérieurement, tu connaissais déjà exactement les ordres – et tu connais très bien Viktor Tupolev, menteur. » Il était temps.

Poutine termina sa cigarette et son thé avant de se lever. « Et me voici une fois de plus autorisé à admirer le grand capitaine à l’œuvre – pour confondre un malheureux gamin. » Il se tourna vers la porte. « Je crois...»

Ramius lança un coup de pied dans les chevilles de Poutine au moment où celui-ci s’écartait de la table. Poutine tomba en arrière, et Ramius bondit sur ses pieds pour empoigner la tête de l’officier politique entre ses solides mains de pêcheur, puis il lui tordit le cou en arrière, pressé sur l’angle métallique aigu de la table. Au moment où le coup portait, Ramius pesa de tout son poids sur la poitrine de Poutine – geste inutile : avec un craquement écœurant, le cou de l’officier politique se rompit, l’épine dorsale brisée au niveau de la seconde vertèbre cervicale. Parfaite fracture de pendaison.

Poutine n’eut pas le temps de réagir. Les nerfs reliés au reste du corps furent instantanément isolés des organes et des muscles qu’ils contrôlaient. Poutine voulut crier, dire quelque chose, mais sa bouche s’ouvrait et se refermait sans émettre d’autre son que l’exhalation dernière de l’air contenu dans ses poumons. Il haletait comme un poisson sorti de l’eau, sans pouvoir respirer. Ses yeux se levèrent alors vers Ramius, écarquillés de stupeur – ils n’exprimaient ni l’émotion ni la souffrance, mais la surprise. Le commandant l’allongea délicatement sur le sol.

Ramius vit le visage de Poutine s’éclairer en le reconnaissant, puis s’assombrir. Il se pencha pour lui prendre le pouls, et près de deux minutes s’écoulèrent encore avant que le cœur s’arrête complètement. Quand Ramius fut bien sûr que l’officier politique était mort, il prit la théière et renversa par terre l’équivalent de deux tasses, en faisant bien attention de mouiller les chaussures de Poutine. Il souleva ensuite le corps jusque sur la table, et ouvrit brutalement la porte.

« Docteur Petrov au carré immédiatement ! »

L’infirmerie n’était qu’à quelques pas. Petrov arriva sur-le-champ, ainsi que Vasili Borodine, accouru du central.

« Il a glissé dans le thé que j’avais renversé, haleta Ramius, affairé à pratiquer un massage cardiaque sur Poutine. J’ai essayé de le retenir, mais sa tête a heurté la table. »

Petrov repoussa le commandant, retourna le corps, et sauta sur la table pour s’agenouiller à califourchon sur Poutine. Il lui déchira la chemise, puis lui examina les yeux. Les pupilles étaient agrandies, et fixes. Le médecin tâta le crâne, ses mains descendirent vers le cou, et s’y arrêtèrent. Il hocha lentement la tête.

« Le camarade Poutine est mort. Il a le cou brisé. » Les mains du médecin se détendirent, et il ferma les yeux du zampolit.

« Non ! cria Ramius. Il vivait encore il y a cinq minutes ! » Le commandant sanglotait. « C’est ma faute. J’ai voulu le retenir, mais je n’ai pas pu. C’est ma faute ! » cria-t-il en secouant la tête avec rage, luttant visiblement pour se maîtriser. Un numéro absolument parfait.

Petrov posa la main sur l’épaule du commandant. « C’est un accident, commandant. Ces choses-là arrivent, même à des hommes d’expérience. Ce n’était pas votre faute. Vraiment, camarade. »

Ramius jura à voix basse, se ressaisissant. « N’y a-t-il rien que vous puissiez faire ? »

Petrov secoua la tête. « Même dans la meilleure clinique d’Union soviétique, on ne pourrait plus rien faire. Une fois la moelle épinière sectionnée, tout espoir est perdu. La mort est pratiquement instantanée – mais également indolore », ajouta le médecin d’un ton consolant.

Ramius se redressa en prenant une longue inspiration, le visage tendu. « Le camarade Poutine était un bon marin, un loyal membre du Parti, et un officier de valeur. » Du coin de l’œil, il vit la bouche de Borodine se crisper. « Camarades, nous poursuivrons notre mission ! Docteur Petrov, vous porterez le corps de notre camarade dans la chambre froide. C’est... affreux, je le sais, mais il mérite des funérailles militaires honorables, avec tous ses compagnons de bord au garde-à-vous, comme il convient, et nous veillerons à ce que les honneurs lui soient rendus dès notre retour au port.

— Faut-il informer l’état-major ? s’enquit Petrov.

— Impossible. Les ordres sont formels : nous devons observer un silence radio absolu. » Ramius sortit de sa poche un jeu complet d’instructions et les tendit au médecin – mais pas celles du coffre. « Page trois, docteur Petrov. »

Les yeux de Petrov s’écarquillèrent tandis qu’il lisait les directives opérationnelles.

« J’aurais préféré faire un rapport, mais les ordres sont explicites : une fois en plongée, aucune transmission d’aucune sorte, pour aucune raison. »

Petrov rendit les papiers. « Dommage. Notre camarade aurait pris le plus grand intérêt à la mission. Mais les ordres sont les ordres.

— Et nous les exécuterons.

— Poutine n’aurait rien voulu d’autre, acquiesça Petrov.

— Veuillez noter, Borodine : je prends la clé de contrôle des missiles accrochée au cou de notre camarade officier politique, comme il est prévu au règlement, déclara Ramius en empochant la clé et la chaîne.

— Je le note, et ce sera inscrit au journal de bord », répondit gravement le second.

Petrov alla chercher son assistant et, à eux deux, ils transportèrent le corps à l’infirmerie où ils le placèrent dans un linceul fermé par une glissière. L’assistant et deux matelots l’emportèrent ensuite, traversant le central, jusqu’au local des missiles. La chambre froide se trouvait sur le pont inférieur des missiles. Tandis que deux cuisiniers sortaient de la nourriture pour faire de la place, le corps fut respectueusement déposé dans un angle. A l’arrière, le médecin et le second procédèrent à l’indispensable inventaire des effets personnels, en trois exemplaires : l’un pour le dossier médical du bord, le second pour le journal de bord, et le troisième pour être scellé dans un coffret, qui fut enfermé à l’infirmerie.

Ramius reprit le quart au poste central plein d’hommes affligés, et fit venir le sous-marin au deux cent quatre-vingt-dix (ouest-nord-ouest). Le carreau 54-90 était à l’est.

A la poursuite d'Octobre Rouge
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